Le judo à l’heure de la réforme

Le judo à l’heure de la réforme
© Intrusive Pictures

Un regard porté sur l’activité de la ligue de judo dévoile un constat à double vitesse. D’un côté, des résultats positifs incontestables, et de l’autre, une baisse régulière du nombre de licenciés d’année en année, depuis la saison 2013 / 2014 avec 3 186 adhérents, pour s’établir aujourd’hui à 2 376. Alors, pour enrayer la dynamique, la ligue doit trouver des solutions, quitte à se repenser.

La régression de la discipline suit la tendance nationale constatée depuis plusieurs années. Et Patrick Jaffart, le président de la ligue de judo, a une petite idée sur l’origine du mal. « C’est essentiellement dû au changement des rythmes scolaires, parce que cela a impacté le temps libre. Cela s’est vérifié au niveau national puisque l’on constate une baisse globale des effectifs qui continue encore cette année. »

De fait, il fallait réagir et la ligue a enclenché une série de changements. Elle a commencé par réviser son mode de gouvernance avec un fonctionnement plus collaboratif. Un comité directeur chapeaute deux entités, les formateurs régionaux et les commissions (cf. organigramme de la ligue). Les commissions doivent désormais établir des projets d’actions sur l’année, avec un budget qu’elles soumettent au comité directeur qui arbitre et octroie les moyens nécessaires. Un nouveau processus plus long mais plus efficace, selon le président. « C’est quelque part une révolution, car la ligue, en vingt ans d’existence, n’a jamais réellement fonctionné comme ça. Tout le monde n’a pas l’habitude de fonctionner sous forme de projet ou de budget, et ça demande plus de prospective. C’est plus difficile mais l’idée est de construire ensemble un projet de la ligue, au moins à moyen terme. »
Deuxième point de réforme, renforcer la proximité avec les associations, en commençant par opérer une tournée des clubs.

tims_6_dossier_4
© Intrusive Pictures

Expérimenter la réalité des acteurs

L’objectif est de s’imprégner des réalités quotidiennes, des attentes et rencontrer les forces vives des clubs afin de mieux les accompagner de manière à créer un vrai lien. Et cela, même si ça implique de leur laisser certaines de leurs prérogatives. Le parfait exemple est la délégation de la gestion des buvettes aux clubs lors des événements ligue pour leurs permettre de récolter un peu d’argent. « Ces actions concrètes permettent d’avoir un lien différent. Cela nous donne la possibilité de rencontrer de nouvelles personnes qui font vivre la discipline au quotidien. Il faut que les gens comprennent que la construction d’un projet Judo Guadeloupe ne peut pas venir uniquement de la ligue ! Ce projet doit être l’émanation de toutes les composantes, en commençant par la base », continue le président.
Vient enfin le cœur du projet. La pérennisation des adhésions et une nouvelle dynamique pour la discipline. L’idée de la ligue, créer des animations à destination des plus jeunes, qui prennent la forme de regroupement régional. Une mission qu’elle reprend, au passage, aux clubs. Les jeunes des catégories mini-poussins et poussins de la Guadeloupe vont pouvoir ainsi se rencontrer lors de ces rendez-vous. À l’autre bout de la pyramide des âges, la ligue a lancé un développement de la catégorie vétérans afin de conserver des pratiquants ou de séduire d’anciens licenciés via des événements ou des compétitions.

tims_6_dossier_6
Le judo continue d’attirer les pratiquants, même si l’effet Riner s’essouffle un peu. © Intrusive Pictures

Le pilier moral

L’ensemble de la réforme s’appuie sur la mise en avant des valeurs et du code moral des sports de combat. C’est le fil rouge qui relie l’ensemble des pratiques du judo. Une diversité que la ligue compte bien rappeler et mettre en avant. Les pratiquants ont ainsi le choix entre le ne waza (judo au sol), le te waza (judo debout), mais aussi ses disciplines associées comme le jujitsu (judo avec pied et poing), le taïso (gym douce) ou encore le kendo (avec des sabres en bambou), entre autres. En bref, jouer sur plusieurs tableaux pour fidéliser voire séduire de nouveaux licenciés.

tims_6_dossier_3
Patrick Jaffart, Président de la ligue de judo. © Intrusive Pictures
tims_6_dossier_2
© Intrusive Pictures

L’encadrement, le maillon faible

Selon le dernier recensement récent de la ligue, il y aurait cinq enseignants professionnels, c’est-à-dire qui vivent uniquement que de l’enseignement du judo. Certains sont rémunérés soit par leur club quand d’autres fonctionnent comme des travailleurs indépendants, libres dès lors de travailler et pour les clubs et pour l’académie de Guadeloupe, par exemple, par le biais d’interventions dans le milieu scolaire. Quoi qu’il en soit, leur principale source de revenus reste la cotisation des adhérents. Tous les autres enseignants sont des bénévoles, diplômés d’un brevet d’État ou d’un Certificat Fédéral de l’Enseignement Bénévole (CFEB). La ligue dispose d’une vingtaine d’enseignants au total. « L’une des premières requêtes des nouveaux clubs concerne les enseignants. Notre effectif n’étant pas extensible, on envoie les mêmes, dont les créneaux sont déjà bookés, et, en second lieu, on s’appuie sur les CFEB. Mais il faudrait beaucoup plus d’enseignants avec un brevet d’État pour un vrai développement du judo », déplore le président de la ligue. À l’encadrement s’ajoute la perpétuelle limite de l’infrastructure. En Guadeloupe, seul un club possède son propre dojo, les autres doivent compter sur un partenariat avec leur commune. « Nous sommes obligés de recourir aux gymnases qui existent dans les différentes communes, donc nous sommes en concurrence avec d’autres disciplines et soumis aux disponibilités des salles. Il y a aussi une logistique spécifique à mettre en place. La création d’un vrai dojo régional pour les arts martiaux serait une bonne chose. »

tims_6_dossier_7
Vincent Druaux, arbitre du dojo de Pointe-à-Pitre. © Intrusive Pictures

Une belle moisson d’espoirs

Malgré ces moyens limités, la Guadeloupe arrive à se démarquer par la qualité des athlètes qu’elle forme. « Par rapport à notre taux de licenciés, le nombre de nos jeunes qui évoluent sur le circuit national et les résultats qu’on réalise lors de nos déplacements sont assez incroyables ! », confie Patrick Jaffart. Il y a au moins sept jeunes Guadeloupéens formés dans leur île qui évoluent au plus haut niveau national de leur catégorie. Un INSEP jeune a été crée cette année par la fédération pour accueillir les sept meilleurs jeunes de France dans l’optique des JO de Paris 2024. Deux Guadeloupéens y ont fait leur entrée, Maxime Gobert et Kenny Livèze. Chaque année, sept jeunes Guadeloupéens figurent sur les listes des espoirs fédéraux. La saison dernière, quatorze jeunes étaient inscrits au Centre Régional d’Entraînement de Judo, basé au Creps Antilles-Guyane, deux d’entre eux ont intégré, cette saison, des dispositifs nationaux : un pôle espoir et un pôle France.

tims_6_dossier_8
© Intrusive Pictures

L’effet Riner, pas mirobolant

Le judo reste un sport populaire qui a l’avantage de plaire aux parents pour le code moral et la discipline liés à la pratique. Mais il est clair que des success stories à la Riner font rêver tout le monde. Et une fois les bribes du songe évaporées, il reste tout de même que les retombées des performances du champion sont limitées voire éphémères pour la ligue. « L’effet Teddy Riner nous ouvre une fenêtre pour parler de la discipline. Selon la période, on peut avoir tout de suite un regain de licenciés, surtout chez les tous petits. La difficulté est de les garder. Nous sommes aussi sollicités par les médias de manière plus ponctuelle. En revanche, nous avons très peu voire pas de retombées aux niveaux des sponsors», confie Patrick Jaffart. Du coup, il faut pouvoir compter sur ses propres ressources. Et sur le plan financier, la ligue dispose d’un budget de deux cents à trois cent mille euros. Il se compose principalement de financements de la Fédération Française de Judo, liés à un système de rétrocession par rapport au nombre de licenciés, ce qui fait du paiement de la licence la première source de revenus. Ces financements sont complétés par des subventions de la Région, du Département, de l’État et de quelques sponsors.

tims_6_dossier_5
© Intrusive Pictures

La fiche tech'

2 400 licenciés en ce début de saison 2019, soit une augmentation de 10 % du nombre d’adhérents par rapport à l’an dernier sur cette période.

32 clubs de judo et disciplines associées répartis sur tout le territoire, avec un équilibre relatif entre la Grande-Terre et la Basse-Terre. (6 clubs aux Abymes et à Petit-Bourg, 3 clubs à Baie-Mahault).

En mai 2018, La Guadeloupe occupait la troisième place parmi les ligues d’Outre-mer, derrière la Martinique avec 2 618 licenciés et la Réunion avec 3 399 licenciés.
La moyenne du nombre de licenciés par club est de 77 en Guadeloupe contre 100 au niveau national. Neuf clubs sont au-dessus de la moyenne régionale, et parmi eux six sont supérieurs à la moyenne nationale.
L’an dernier, le plus gros club guadeloupéen avait enregistré plus de 300 licences. Près de 80 % des pratiquants sont des jeunes dont la majorité appartient aux catégories poussins, benjamins et minimes, c’est-à-dire les 9-14 ans.

Share This