Gestion des équipements un no man’s land administratif ?

Gestion des équipements un no man’s land administratif ?
© Fred Sapotille

S’il y a une chose sur laquelle les associations sportives s’accordent en général, c’est la faiblesse des infrastructures sportives. Soit elles en demandent le renforcement, la construction, soit elles réclament une meilleure gestion. Quoi qu’il en soit, le sujet fait débat, et à l’heure où la Chambre Régionale des Comptes opère une stricte revue des comptes communaux, il semble qu’il ait bien raison d’être. En Guadeloupe, de nombreuses installations sportives souffrent d’un déficit de gestion qui met à mal leur pérennité et leur utilisation optimale.

L’équilibre dans le choix de gestion

Les équipements sportifs tombent dans l’escarcelle des collectivités territoriales dans les années 60, alors que le sport est devenu une affaire d’État. Pourtant, formellement et si on en croit les lois de décentralisation de 1982, la politique sportive n’est pas formulée dans les responsabilités des élus.

En France, 99 % des installations sportives sont la propriété des villes dans lesquelles elles sont implantées. Un immense parc sportif qui explique que l’on soit venu, naturellement, à considérer les collectivités locales comme légitimes à les gérer. Or, c’est bien plus compliqué que cela, car en réalité, elles n’ont aucune obligation légale de le faire, ni en tant que villes, ni en tant que communauté d’agglomération. En clair, l’usage a fait force de loi, d’autant que les associations sportives, pour fonctionner, font directement appel à leur municipalité. Cela posé, les équipements sportifs représentent une lourde responsabilité financière pour les communes. Leur gestion et leur maintenance compile plusieurs leviers administratifs puisqu’ils sont des établis­sements recevant du public (ERP) tout en devant respecter des normes de construction propres aux pratiques qu’ils abritent. De plus, leur correcte gestion, s’inspirant plus de pratiques managériales connues dans l’entreprise, entre en conflit direct avec les valeurs du service public.

La question de la rentabilité

En général, les collectivités sont bloquées entre deux choix de gestion. La régie directe, assurée par un service interne, sans budget distinct, ou la gestion déléguée par le biais d’une délégation de service public dont les termes sont identifiés dans une convention. En général, il s’agit pour la municipalité d’avoir un droit de regard sur les activités de l’équipement et de percevoir un loyer du délégataire.

Avec des équipements vieux de plus de trente ans, à l’heure de la rénovation, il fallait bien trouver les leviers financiers capables de soulager substantiellement la part de la commune. Les fonds européens, entre autres, entrent en ligne de compte. C’est une problématique commune à la Guadeloupe et à la France hexagonale. En raison de la diversification de la pratique sportive, et du besoin des infrastructures de se dégager du diktat des normes fédérales. Rénover ces équipements demandent de lourds investissements et de fait pose la question de leur rentabilité. Un équilibre très fragile à trouver, d’autant qu’un grain de sable peut très vite enrayer la machine.

Les mauvais élèves épinglés

Le Hall des sports Paul Chonchon, le stade de Basse-Terre, la piscine intercommunale de Rivière des Pères, autant d’équipements qui ont reçu un carton vermeil de la part des magistrats de la Chambre Régionale des Comptes. Les dysfonctionnements identifiés révèlent bien la complexité de gestion de tels équipements et le nécessaire besoin de formation des gestionnaires.

En signant une convention avec l’association AGPH fraîchement créée pour assurer l’exploitation et la maintenance du récent Hall des sports Paul Chonchon, en juin 2014, la ville de Pointe-à-Pitre opte pour un système qui s’apparente à une régie personnalisée. Dans les missions qui ont été identifiées, l’association de gestion et de promotion du hall doit exploiter et assurer la maintenance de l’équipement, assurer sa bonne tenue après utilisation, mais aussi coordonner tout ce qui est du domaine du fonctionnement des clubs, ligues et associations sportives que ce soit dans la formation ou les manifestations sportives. Or, selon les conclusions et les informations recueillies par la Chambre Régionale des Comptes, très vite, il s’avère que l’AGPH dysfonctionne à la fois dans le cœur de ses instances et dans ses missions principales. Elles sont pourtant claires.
En plus de veiller à la maintenance des locaux, la ville garde un droit de regard sur la planification des activités du hall et veut la production d’un bilan financier qui retrace le fonctionnement de l’équipement sur une année. Or, l’association est incapable de fonctionner correctemet en son sein, notamment par la tenue d’assemblées générales et la production de procès-verbaux rendant compte des dispositions prises durant la réunion. Pourtant, les résultats d’exploitations du hall des sports sont bons. Avec une moyenne de 320 jours d’ouverture par an et un taux d’exploitation du plateau sportif de près de 210 jours par an, le hall des sports tourne relativement bien. Son fonctionnement financier, lui, reste opaque. Selon Alain Sorez, conseiller municipal, « Le dernier bilan financier que le conseil municipal a obtenu datait de décembre 2015, après cela, les demandes des élus sont restées sans réponse ». Pas d’informations sur les tarifs pratiqués non plus, et certaines associations sportives se plaignent de ne pas comprendre le mode de fonctionnement du hall. « Pas d’information sur le mode d’hébergement des ligues, pas d’information sur les tarifs de location, et les associations sportives laissent remonter des interrogations auxquelles nous ne pouvons pas répondre. » De son côté, l’association AGPH patine. Les obligations sur la tenue des comptes ne sont pas entièrement respectées et la démission du président Raphaël Bijou en 2017, laisse la place à un intérim qui ne sera jamais formalisé. L’association ayant été démise de ses fonctions, la ville de Pointe-à-Pitre a repris en main la gestion de l’équipement et à maintenu Fabrice Martol qui avait déjà été retenu pour accompagner l’association. Une coopération qui se passe toutefois selon des modalités différentes.

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© Fred Sapotille

Bérézina basse-terrienne

Autre mauvais exemple, la ville de Basse-Terre, où, rien ne semble se passer dans les règles. Les deux équipements sportifs en souffrance seraient gérés directement par la Communauté d’Agglomération Grand Sud Caraïbes (CAGSC). Sauf qu’ils sont inexploitables en l’état. La piscine, est en pleine rénovation et le stade, jamais vraiment remis des foudres de Maria est en situation extrêmement précaire. Au niveau de la gestion, c’est le même directeur. Selon le rapport d’audit de gestion de la CAGSC, il doit faire face à une absence de budget de fonctionnement qui a conduit à ce « qu’il paie de sa poche le ciment nécessaire aux opérations de mise en sécurité ». Il gère une masse salariale qui évolue sans management, il n’existe aucun calendrier de programmation, si bien que les associations sportives doivent soit composer avec les équipements des villes voisines – moyennant paiement – soit trouver les moyens d’abriter leurs entraînements. Même son de cloche du côté de la piscine, sauf qu’en plus le rapport pointe du doigt une occupation abusive des locaux du cercle des nageurs régional de Basse-Terre et là encore, les tarifs d’exploitation ne sont pas déterminés ce qui plombe les recettes de l’équipement. C’est en réalité une forme d’anarchie totale, qui montre bien à quel point, la gestion d’un équipement doit faire l’objet d’une formation rigoureuse et actualisée. Or, il se trouve, selon les informations que nous avons recueillies que les réunions de programmation sont plutôt rares en Guadeloupe. C’est aux associations sportives qu’il revient de faire la démarche d’une recherche de salle, face à des services des sports, pour la plupart désorganisés et lents à la détente.

3 QUESTIONS À

Fabrice Martol, directeur du Hall des Sports Paul Chonchon: «Ma gestion est rigoureuse, transparente et planifiée»

TIM’s : Comment fonctionne réellement le hall des sports ?
Fabrice Martol : Le cahier des charges que m’a donné le maire est clair. Il m’a demandé de favoriser le sport, sur son territoire à 70 % et 30 % culture. Depuis cinq ans que je suis au hall, j’ai mis en place une procédure simple. D’abord de la communication. J’impose, chaque année à tous les clubs qui utilisent l’espace Paul Chonchon une réunion annuelle où on négocie les créneaux. En début de saison, ici, tout le monde à sa convention, son tarif, ses créneaux, jusqu’au 30 juin de l’année suivante. Nous avons quatre clubs de basket qui sont hébergés ici, nous sommes donc obligés de préciser que l’espace est mutualisé. Le week-end est réservé aux matchs, si nos clubs reçoivent. Pour harmoniser cela, j’ai aussi imposé la réunion de début de saison aux trois ligues (basket, volley, handball) au mois de juin et elles doivent me donner leurs grandes dates. Avec ces éléments, je peux planifier toute l’année. Et quand il y a de la disponibilité, je fais des locations pour des spectacles ou d’autres manifestations non sportives. En 2018, le hall était ouvert durant 308 jours, et nous avons fait 69 % de basket, 12 % de volley et 3 % de handball, le reste a été occupé par des spectacles.

TIM’s : Vous étiez déjà en place au hall des sports lors de l’exercice de l’AGPH, quel était votre rôle exact ?
FM : J’ai toujours été présent pour surveiller les intérêts sportifs, la politique que le maire veut mettre en place mais surtout m’assurer que toutes les conditions de la convention de l’AGPH étaient respectées par cette association. Le seul point où je n’étais pas mandaté, c’est l’aspect financier. Donc techniquement, je ne suis pas responsable des manquements de l’AGPH, au niveau de sa gestion financière. Ce que je peux vous dire, c’est que depuis juillet 2017, nous avons réalisé un volume de vente, en augmentation en 2018, et en 2019.

TIM’s : Comment garder l’équilibre financier quand on doit préserver les associations et maintenir un tel équipement ?
HM : Mon travail consiste à optimiser le planning, rencontrer les clients et fournisseurs, faire des devis et facturer.
Le tarif utilisé a été voté en conseil municipal, donc connu de tous, et mon rôle est de faire appliquer ce tarif. Quand des associations, des entreprises, et des partenaires veulent de la gratuité, généralement, j’explique les raisons d’un refus. Puis les personnes vont en mairie et le maire explique que son budget contraint ne permet pas de faire de gratuité. Dans tous les cas, si la ville fait une mise à disposition, notamment aux associations sportives, il y a une valorisation de ce partenariat dans la convention. Notre site rapporte de l’argent, qui est recouvré par le service financier de la ville. Avant ce schéma, le hall était géré par l’AGPH. Elle avait une convention pour gérer le hall et elle avait son compte d’exploitation, et une obligation de rentabiliser pour payer son personnel et son loyer. Depuis juillet 2017, la ville a repris la gestion et avec le chiffre d’affaires que nous avons et les partenariats mis bout à bout, aujourd’hui je réponds aux attentes des sportifs, car avant de parler de rentabilité financière, la volonté de la commune de Pointe-à-Pitre en sa qualité de « Ville Active et sportive » est de soutenir les associations exerçant une mission d’intérêt générale pour le sport ». C’est plus globalement que la stratégie sportive de notre pays devrait permettre de créer de la valeur ajoutée, car à Pointe-à-Pitre, nous n’avons pas à rougir compte tenu de la totalité des équipements sportifs présents, pour les intérêts exclusifs des sportifs.

Diversifier les financements

Coûteux à entretenir et à rénover, les équipements sportifs ne peuvent échapper à une logique de rentabilisation. Reste à en définir les contours. L’appel de fonds vient, en général de l’Europe, ce qui pousse à introduire à la programmation de ces équipements une dimension culturelle. Mais le problème réside aussi dans la faiblesse du sponsoring et la non-professionnalisation du sport local. Les recettes ne peuvent pas seulement provenir de la vente de ticket de rencontre et du loyer des associations et des ligues surtout quand on sait l’évolution rapide des innovations sportives et l’impérieux besoin d’adaptation des équipements. C’est cette réalité qui a conduit plusieurs acteurs français à dénoncer un recul de la politique sportive au profit du sport événementiel. De manière globale, la France a du mal à suivre le rythme de la privatisation du financement du sport. A tort, comme à raison. A tort parce que les pratiquants, les associations, les collectivités, les clubs sont les seuls à supporter les coûts, à raison parce que la privatisation met à mal la dimension de cohésion et d’intégration sociale présente dans le sport. Le sponsor veut la performance qui assure sa visibilité, ce qui laisse de côté toute une frange des pratiquants pour se concentrer sur le haut niveau. En Guadeloupe, les sponsors privés restent énormément sollicités pour des capacités d’investissement réduites.

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