Abel Magloire, co-fondateur de la voile traditionnelle de compétition.
Il est celui qu’il faut connaître. Au milieu des couleurs chamarrées de la voile traditionnelle, tout le monde le salue, lui demande conseil, essaie d’obtenir son avis, car Abel Magloire était là quand tout a commencé. Il était là quand ce jeu de marins est devenu une véritable compétition sportive.
Il règne toujours un joyeux désordre à chaque départ de course. Les équipages se charrient tout en réglant les bateaux. Abel Magloire, du haut de ses quatre-vingts années passées participe toujours avec plaisir à cette fête. L’homme affiche fièrement les couleurs de Déhé Vwal qu’il soutient depuis longtemps. Pourtant, c’est aux Saintes que commence son aventure. Très jeune, Abel Magloire embarque sur un canot. « À douze ans, j’étais déjà patron, j’ai commencé sur un canot baptisé « La Misaine», ces canots sont venus après quand j’ai démarré ma carrière de marin-pêcheur. Pour naviguer, nous avions un équipage. À l’époque, nous étions jeunes et forts, nous aimions nous défier, c’était une façon de nous amuser. » Tout part d’un jeu. Pour aller remonter les casiers, les équipages se défient. « Nous faisions des « ripaj » pour y aller, et la même chose pour rentrer et aller vendre le poisson. » Ces jeux renforcent les connaissances d’Abel Magloire pour louvoyer contre le vent.
L’influence de Chatuant
C’est sous l’impulsion d’un homme de Sainte-Rose, ami marin d’Abel Magloire, que s’ouvre un nouveau chapitre du développement de la voile traditionnelle. « Quand Chatuant est revenu de France après ses études, il ne pensait qu’à la mer. Il voulait aller en mer. Il cherchait partout à faire l’acquisition d’un bateau, en vain. Il décide donc de m’embarquer, avec quelques autres camarades dans la construction d’un canot. » La petite équipe restera dédiée au projet pendant plusieurs mois. À l’époque Abel Magloire avait quitté les Saintes pour s’établir professionnellement en Guadeloupe.
À la sortie de canot en construction navale, c’est la voile d’Abel qui ornera son mât. Lâchée sur les eaux de Guadeloupe, l’embarcation fait sensation. Le mouvement ne touchera pas uniquement les Saintes, mais aussi la Guadeloupe. « Les Vieux-Fortins, curieux, nous ont demandé conseil pour la construction de ces canots. Du coup, nous leur avons montré comment faire. Nous faisions des canots avec eux, mais aussi nous nous entraînions et nous disputions quelques courses. » Plus question d’aller chercher du poisson. Là on parle bel et bien de compétition !
Les voiles en coton
À l’époque, il n’était pas question du polyester tissé qui caractérise les voilures actuelles. La voile traditionnelle a débuté avec des voiles en coton d’une coupe verticale. « Nous faisions tout sur les canots. Un marin n’était pas spécialisé. Nous devions savoir comment poser le tissu et couper le coton. Après, c’était vrai que par la suite, c’est ma mère qui achevait la couture, mais c’est moi qui découpais les voiles. » C’est d’ailleurs cette forme particulière de coupe qui rend le canot traditionnel reconnaissable. Toutefois, les compétitions mettent les voiles en coton à rude épreuve. « Il fallait être patient, car, à chaque déchirure, après la course, il fallait s’asseoir pour raccommoder la voile, jusqu’à ce qu’il faille la changer. Aujourd’hui, une bonne voile dure quelques années. » La voile traditionnelle est devenue une passion que les hommes, dont beaucoup sont partis, ont transmis aux générations suivantes. Aujourd’hui, c’est un sport à part entière qui demande une vraie préparation physique et une fine connaissance de la navigation en Guadeloupe.
- Priscilla Romain