Il est sans doute en train de devenir un loup de l’océan. Rodolphe Sépho, arrivé 20e de la catégorie Class40, voit déjà plus grand. D’ores et déjà marin professionnel et à peine arrivé en Guadeloupe, qu’il exprime son envie de monter un projet bien plus grand. Un tour du monde en solitaire et sans assistance. Le Vendée Globe. Et pour y arriver, il espère que la Guadeloupe le suive.
TIM’s : De la casse, un joli train de dépressions, le moins que l’on puisse dire est que cette Route du Rhum était sportive. Comment l’avez-vous vécue de votre côté ?
Rodolphe Sépho : Je pense qu’un petit malin avant le départ a mis le jeu vidéo en mode expert alors que moi j’avais installé le mode intermédiaire (rires). Mais plus sérieusement, on a eu des conditions musclées, sans dire difficiles, car il faut se préparer pour cela, mais nous avons eu une météo peu commode dans l’Atlantique avec de nombreux systèmes désorganisés. Il a fallu trouver des parades très rapidement, mais surtout être au bon endroit, au bon moment, et c’était bien là toute la difficulté de cette course. De mon côté, j’ai opté pour une option très au nord, en pensant subir deux ou trois dépressions, mais en réalité, je me suis retrouvé piégé dans le train, et d’ailleurs, la dernière dépression qui me cueille assez loin des açores m’empêche de piquer au sud pour aller trouver les Alizés qui étaient complètement désorganisés. J’ai donc eu le plus grand mal à trouver ma route sud comme de nombreux concurrents derrière moi. Ceci dit, ceux qui se sont arrêtés à la Corogne ont pu repartir avec les Alizés que moi je n’ai pas pu attraper. Mais l’option sud a tout de même fini par payer. Cela dit, les Alizés n’étaient pas établis, et c’est assez rare pour être noté même si nous l’avions travaillé. Mais cela fait partie du jeu, ça passe ou ça casse. Les bateaux ont été mis à rude épreuve. Plusieurs amis ne terminent pas ou ont eu des avaries. Mon bateau, lui, a tenu le choc, ce qui prouve qu’il est assez solide, et je l’avais d’ailleurs choisi pour cela. Et de plus, il a été très bien préparé. J’ai navigué de manière à ne pas casser le bateau, mais surtout à ne pas casser le marin, même si j’ai fait une belle chute à l’intérieur et que je me suis démonté l’épaule.
TIM’s : Ceux qui suivent un peu la voile savent que vous êtes parti très tôt en course, en bâtissant votre projet près de deux ans avant le départ de la Route du Rhum, comment prépare-t-on de manière quasi professionnelle une transatlantique ?
R.S. : Je savais après 2014 que j’avais envie d’y retourner. En 2014, je courais pour l’association de l’aide à l’enfance et à l’adolescence et dans ce cadre, nous faisions avec les moyens du bord, avec le plus ancien des class40. Il avait déjà fait quatre Route du Rhum et il était arrivé au bout de ses performances. Il fallait donc repartir sur de nouvelles bases, en montrant que j’étais capable d’autre chose que simplement traverser, je pouvais aussi aller chercher la gagne et rivaliser avec des marins professionnels. Le projet qui me tenait à cœur, je ne pouvais pas le monter en Guadeloupe car, malheureusement, je n’avais pas les infrastructures que me permettaient de le faire. Je n’avais pas non plus le niveau technique, je venais quasiment de démarrer la course au large, il me fallait aller chercher des compétences et un bateau. En 2015, j’ai intégré un team pro en France, tout en continuant à naviguer dans la Caraïbe. Mais, ce qui est sûr, c’est que dès lors que je suis entré dans le monde de la course au large, j’ai acquis de l’expérience, notamment en ce qui concerne mon encadrement. J’ai ensuite intégré un pôle course et nous avons créé l’association “Rêve de Large”. Au début, pour des raisons purement administratives, car nous avions besoin d’acheter le bateau. L’aventure avançant, l’équipe a commencé à réfléchir aux bases du projet et nous voulions en réalité inspirer les autres et montrer que nous étions capables de les accompagner dans une démarche professionnelle. En 2016, nous étions fins prêts et je pouvais commencer ma préparation sportive en multipliant les courses en double ou en individuel. Thibaut Vauchel-Camus m’a donné un très gros coup de main sur le montage de mon projet. Je dois aussi beaucoup à Pierre Brasseur, l’ancien skipper de mon bateau, qui m’a offert une prise en main pendant plusieurs mois pour que j’apprenne à connaître le bateau à Lorient. C’était vraiment une formation condensée, intéressante, avec des mecs qui gagnent. Phil Sharp, Arthur Levaillant, Aymeric Chapellier m’ont permis de me mettre des claques, avec des échecs, pour arriver ensuite à rivaliser avec eux. J’ai fait aussi pas mal d’Imoca.
TIM’s : Deux ans de travail acharné en réalité. Vous êtes donc devenu marin à plein temps ?
R.S. : C’est exactement cela. J’ai cessé mon activité salariée car je ne pouvais pas mener les deux de pair. Je suis parti en France et je me suis consacré à 100 % au projet.

TIM’s : Et quatre ans plus tard, vous lâchez la nouvelle : la Route du Rhum en Class40, c’est bien, mais vous êtes prêt à faire sur plus gros et plus longtemps. Qu’est-ce-que cela signifie ?
R.S. : Cela veut dire que je ne veux pas me limiter à la Route du Rhum. La course au large offre de nombreuses possibilités, nous avons un peu de retard par rapport à tout ce développement autour du nautisme. Le but de “Rêve de Large”, et mon but, est de montrer qu’on ne peut pas se limiter à une course. Il faut se le dire, un Guadeloupéen finira par gagner la Route du Rhum, ce ne sera peut-être pas moi, mais ce sera certainement un autre. Les Guadeloupéens se sont appropriés la course. Mais en tant que marin professionnel, je ne peux pas me limiter à une course, je rêve d’un Vendée Globe, mais pas pour Rodolphe Sépho, pour montrer aux jeunes qu’on est capable d’aller plus loin et plus longtemps, et forcément sur des bateaux plus gros et plus rapides. Le Class40 est une aventure qui s’achève pour moi, avec en ligne de mire la catégorie Imoca.
TIM’s : Le Vendée Globe, c’est du 100% pro, de très gros projets, c’est une ambition énorme que vous affichez.
R.S. : J’en ai conscience, mais à mon sens, c’est nécessaire. Il ne suffit plus de rêver et d’annoncer, il faut faire. C’est ma démarche pour ce Vendée Globe. Ca va être difficile, c’est normal, il faudra s’investir dans le projet, je le sais, mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. Pendant un an, on ne parlera que de la Guadeloupe sur tous les océans du monde, c’est pourquoi nous appelleront ce projet “La Guadeloupe autour du monde”. Nous savons déjà que nous avons le savoir-faire et la compétence, mais nous devons désormais le montrer au reste du monde, à l’échelle très professionnelle et internationale.
TIM’s : Alors quelle sera la planification de ce projet ?
R.S. : Il faut respecter le temps des choses. Avant le Vendée Globe, il y aura certainement une nouvelle Route du Rhum. En attendant, on va essayer de faire monter du monde sur le bateau et ensuite, en 2022, on va passer sur l’Imoca, même si je ne me fais pas d’illusions et que je prendrai ce que je pourrai me payer. J’aimerais vraiment que la Guadeloupe me suive sur ce projet.
TIM’s : Certes, mais nous sommes sur un budget qui se rapproche du million d’euros, il y a un risque fort que vous ne puissiez vous passer d’un partenaire majeur national voire international, vous en avez conscience ?
R.S. : Évidemment, je le sais, J’ai des opportunités ailleurs, avec de grosses boîtes, je pourrais avoir les moyens de faire autrement. Mais je me donne deux ans pour essayer au maximum de vendre à la Guadeloupe ce projet. Si je trouve les moyens financiers d’y aller, on y va, et sinon, je me redéfinirai, je me poserai les bonnes questions et je ferai autrement, mais je ferai mon Vendée Globe.
- Priscilla Romain